Dalits : de l’explosion des villages, à la conscience collective

11 Mai 2013


Inde - Nous vous avions parlé des Dalits à travers le témoignage d’Arul issu de cette caste. Retour sur une suite d’attaques de villages dans le Tamil Nadu visant les Dalits, à travers le témoignage de Ted Samuel, volontaire chez People’s Watch, qui s’est rendu sur place.


Ce sont 2 500 Vannyars, membres d’une caste dominante en Inde, qui ont attaqué plusieurs villages dans le Tamil Nadu en novembre dernier. Leur cible : les membres d’une caste inférieure, les Dalits. La colère a envahi la communauté suite aux fiançailles d’une jeune fille Vannyar ayant épousé un Dalit. Le père de la jeune fille avait apparemment été tout à fait tolérant quant à leur union, mais se serait suicidé quelques heures plus tard par honte.

Tout a été détruit en quelques heures. Les maisons, les bijoux, les roupies et tous les biens de la caste intouchable sont partis en fumée. Les villageois s’en sont sortis sans trop de blessures en abandonnant leurs propriétés, en fuyant le village en flamme et surtout le cortège violent qui aurait pu leur coûter la vie. Ce massacre organisé par la communauté vannyar sur leurs colonies n’a pas seulement été déclenché par le suicide du père de la jeune fille. Tout porte en effet à croire que l’attaque avait été planifiée depuis longtemps. Action politique, inspiration de quelques partis voulant regagner une cote de popularité, tout a été méthodiquement calculé. Les pertes s’élèvent à plus de 60 millions de roupies. « Les réserves de toute une génération ont été démolies, les Dalits ont été volés, vous ne pouvez pas imaginer à quel point mon cœur s’est serré et combien j’ai pleuré avec les gens de ces villages à qui on a tout pris… Je suis resté deux jours avec eux, je les ai un peu soulagés et j’ai promis de tout faire pour les aider, j’ai envoyé une pétition au gouvernement et organisé quelques manifestations pour que la vérité sur cette action terrible surgisse dans les médias et que l’on aide enfin les Dalits qui subissent trop de cruautés », explique Arul (à lire).

Les Dalits, suite à ce massacre, ont commencé à se lever au nom de leurs droits. Ils commencent à parler plus facilement des atrocités qu’ils subissent et les trouvent de plus en plus injustes. « Le fait qu’ils aient une conscience collective des injustices leur permettra d’aller de l’avant, je ne suis pas certain qu’ils seront réhabilités rapidement, j’espère juste que malgré une reconstruction morale et matérielle qui va sans doute prendre du temps, ils recevront la compensation adéquate qui leur ait légalement due », ose espérer Ted Samuel.

Quand la souffrance d’un peuple est mise en images

Ces attaques sont encore sur toutes les bouches. L’évènement politique a enclenché tout un processus de violences sur les Dalits. Ted Samuel, doctorant en anthropologie à l’Université américaine de Washington D.C. et en stage professionnel chez People’s Watch, est allé sur le terrain pour aider les victimes de ces atrocités : des provisions et des vêtements « dont ils avaient alors désespérément besoin » ont été distribués. Après avoir pris quelques photos et tourné une vidéo, il a livré son témoignage au Journal International pour nous raconter son idée de la pudeur de l’image.

La caste des Vannyars a ciblé ces villages du Tamil Nadu suite à un mariage intercastes. En quoi une union peut engendrer une telle colère et de telles atrocités ?

Les unions de ce genre créent souvent une grande colère chez le peuple indien. Mais le mariage a été une belle excuse selon moi, car du suicide du père à la rébellion pour des fiançailles, rien ne colle, tout semble trop bien organisé. Nous suspectons tous que les Vannyars ne supportent pas que les Dalits aient commencé à améliorer leur situation socio-économique et sentant leur caste dominante menacée, ils ont calculé l’attaque. L’excuse du mariage a été un beau prétexte pour prendre leur revanche.

Pourquoi est-ce que ce rassemblement n’aurait-il pas été spontané?

Les différents rapports et articles sur ce sujet ont affirmé les premiers temps que la mobilisation avait été spontanée. Mais il y a un nombre de raisons assez éloquentes que j’ai évoqué dans mon blog qui me fait penser que tout a été calculé. Plusieurs travailleurs sociaux et intellectuels en sont également persuadés. Comment des gens pourraient-ils arriver avec des bombes d’essence s’ils n’ont pas prévu de détruire quoi que ce soit ? Pourquoi ont-ils ciblé notamment les fortunes des Dalits, les maisons des Dalits, au lieu de détruire le village entier jusqu’aux maisons des personnes ne faisant pas partie de cette communauté ? Cela ne coïncide pas vraiment avec un mouvement de foule non planifié.

Vous êtes intervenus sur le terrain avec People’s Watch un mois plus tard, comment vous êtes-vous préparés à un terrain chaotique comme celui-ci ?

People’s Watch était intervenu bien plus tôt pour cette mission. A l’époque, je n’étais pas en ville, mais j’ai beaucoup travaillé sur cet incident en me basant sur des rapports de l’organisation, des plaintes, mais aussi des articles de presse. Cela m’a permis de condenser l’information et je crois que l’organisation l’utilise pour préparer son terrain et surtout sa mission de réhabilitation. J’ai mis un mois à trouver les fonds et les provisions nécessaires pour intervenir là-bas.

Pourquoi selon vous était-il nécessaire de prendre des photos de ce festival de l’horreur ?

Les photos que j’ai prises au premier abord reflètent le travail de People’s Watch afin de prouver qu’ils ont bien reçu cette compensation de notre part. J’ai partagé sur mon blog trois photos spécifiques. Les autres photos ayant été assez mécaniques, pour être honnête, un job donné à celui qui possède un appareil photo en somme, car il faut des preuves que notre équipe a bien fait son travail. Je l’ai fait uniquement dans l’un des villages, pour le reste, je ne sais pas comment ils se sont arrangés. Mon rôle sur le terrain n’avait rien à voir avec les photos que j’ai mises sur mon blog. Ce sont des femmes qui m’ont entraîné dans leurs maisons, et autour du village et qui m’ont imploré de prendre des photos. Avec la matière que j’ai obtenue par la suite, j’ai décidé de créer un petit film pour informer le monde à propos des atrocités de certaines populations. Comme je l’ai déjà mentionné, je n’avais pas planifié de faire quoi que ce soit, c’est venu après.

Sur ce terrain, on peut s’interroger sur l’éthique de montrer la souffrance. Est-ce que vous avez pensé qu’il était peut-être inapproprié de prendre des photos et des films de ces pauvres gens ?

Avant d’y aller, je n’avais aucune idée de ce que j’allais trouver là-bas, je pensais que mon rôle serait très simple à endosser. Et puis, les biens ont mis du temps à être distribués, j’ai pris quelques clichés notamment des personnes déchargeant les camions. Ça a commencé à partir de ces images, par la suite, ce sont les gens qui me guidaient et qui m’ont encouragé à filmer certains détails, certains endroits complètement détruits.

Les gens vous ont demandé de prendre des photos de leur souffrance pour que vous la partagiez autour du monde, quelle a été alors votre réaction ?

Une femme m’a montré un sac contenant environ 20 000 roupies totalement parties en fumée. Ce n’était pas uniquement son argent, c’était celui d’une partie de la population qui utilisait ces ressources pour des emprunts occasionnels. J’ai été d’abord un peu abasourdi et puis j’ai décidé de m’enquérir de mon rôle. Bien entendu, j’ai essayé de mettre mes émotions de côté et de faire alors ce qu’ils m’ont demandé uniquement sans trop me poser de questions. Dans ces cas-là, on n’interroge pas l’éthique, on ne peut pas. On vit le moment et c’est tout ce que l’on peut faire. Dans l’une des pièces qui avaient clairement été bombardées, j’ai demandé à une femme en tamoul « record-pannu mudiyamaa ? » (puis-je filmer ?). J’ai pensé qu’il n’était alors pas possible de rendre justice aux victimes en prenant uniquement une photo. Du sol au plafond, tout avait été totalement détruit, j’ai voulu en donner la vision panoramique. Elle apparaît d’ailleurs dans la vidéo que j’ai réalisée.





Etudiante en sciences politiques à l'Université Lyon 2 et ayant la chance de passer un an en Inde,… En savoir plus sur cet auteur